' ARISTIDE BRIAND Par JEAN PIO T*) L es pires adversaires de M. Aristide Briand lie peuvent nier la seduction qui se degage de lui. Mais ils attribuent cette seduction ä des qualites purement physiques. Ils comparent M. Briand ä un « violoncelle » touche d’une main de virtuose et dont la vibrance erneut toujours, quelle que soit la chan- son qu’on y joue. Ils ajqutent que M. Briand a les mains extremement fines, ce qui donne on ne sait quel charme aux gestes dont il souligne ses phrases. A les entendre, c’est lä tout ce qui constitue l’eloquence de M. Aristide Briand dont les discours, relus ä l’Officiel, deqoivent. . C’est bien vite dit. Et nous faire croire que huit fois on a ete chercher M. Briand pour lui confier le pouvoir, uniquement ä cause de l’agrement de sa voix et de l’elegance de ses mains, c’est donner de sa carriere politique une explication assez invraisemblable. (Mais ne s’agit-il pas de nous per- suader que le regime democratique est incapable de choisir ses chefs pour d’autres raisons? . . .) On oppose volontiers la paresse de M. Briand ä l’activite debordante de certains hommes politiques, son apparente indolence ä la non moins appa- rente energie de certains autres, sa pretendue ignorance ä l’omniscience de ceux qui veulent se faire passer pour tout savoir sans rien apprendre. Le vais-je defendre point par point contre tous ces griefs? II en serait le premier ä rire (ou ä se fächer) comme il est le premier ä rire (ou ä se fächer) de la surveillance policiere qu’on peut etablir autour de lui pour le proteger. * Quand MM. Grunebaum-Ballin, Levy-Oulmann et Leon Blum preparaient les textes qui devaient faciliter l’application de la loi de Separation, ils apportaient ä ce travail tous leurs scrupules et toute leur Science de juristes. Ils pesaient leurs mots, discutaient sur la moindre espression qui eüt pu donner lieu, par la suite, ä double interpretation. Puis on raconte qu ils venaient trouver M. Aristide Briand pour lui soumettre leur laborieuse redaction, dont ils n’etaient pas toujours entierement satisfaits. II leur semblait ä euxmemes qu’il y manquait «on ne sait quoi » pour qu’elle füt tout ä fait au point. Cette mise au point, c’est M. Briand qui la faisait, en roulant entre ses doigts son eternelle cigarette . . . Cette anecdote, qui remonte audelä de la limite de mes Souvenirs per- sonnels, est symbolique. Elle caracterise Aristide Briand. II est l’homme de la mise au point. N est-ce pas ä cela que l’on reconnait l’homme d’Etat? II n a certes pas la pretention de tout connaitre. Mais cette pretention lä est bien dangereuse chez un gouvernant. Elle le conduit ä l’orgueil, au ) Aus: Jean Piot, Comme je les vois. Editions Simon Kra, Paris. 427